Savoir cultiver le bon côté des choses
Etre positif sans être naïf, constructif sans fausses illusions, est-ce possible ? Oui. L’optimisme lucide existe, il s’enracine dans la confiance en soi et le plaisir de vivre. Un état d’esprit qui change tout.
Alors comment rester positif ? Oser affirmer que le meilleur nous attend ? Il y a quelque chose d’obscène dans l’optimisme forcené des « sans-souci », des « vive-la-joie » et autres enthousiastes béats. Ce n’est donc pas de ceux-là dont ce dossier traitera.
Ni déni ni idéalisme
Penser que le monde est le meilleur qui soit, que l’avenir est forcément prometteur, c’est de l’angélisme. Prendre les choses du bon côté en négligeant leur aspect négatif, voilà une politique de l’autruche qui sonne faux. Nous connaissons tous des personnes qui répètent : « Ça va aller, oui, ça va aller », alors que tout dans leur attitude et leur vie crie le contraire, à la manière de Madame Butterfly dans l’opéra de Puccini. Cette geisha du début du siècle dernier, abandonnée et trahie par le militaire américain qui l’avait rapidement épousée, s’enfuyant ensuite vers une soi-disant mission, garde son rêve de voir revenir son bel officier. « Il reviendra. C’est sûr, il reviendra », répète-t-elle, refusant de voir l’abîme qui s’est ouvert devant elle. Les psychanalystes ont un mot pour un tel aveuglement : le déni. L’optimisme n’est alors qu’une manière détournée de refuser de voir une réalité qui serait insupportable.
L’idéalisme est une autre tendance fâcheuse à négliger le réel. En faisant la plus grande place à l’idéal et au sentiment, il entraîne paradoxalement vers de grandes déceptions. Croire en une vérité unique pour tous, penser que le progrès matériel est toujours bénéfique ou que notre salut dépend d’un seul être nous plonge dans bien des guerres et des impasses écologiques ou relationnelles. Là encore, l’absence de nuance a un prix. Non, ce n’est pas non plus de cet optimisme-là dont nous parlerons.
Faire grandir le bon
« Ceux qui imaginent que les choses finissent toujours par s’arranger se sentent stupides quand elles tournent au vinaigre, explique le psychothérapeute Alan Loy McGinnis (in Le Pouvoir de l’optimisme, J’ai lu, 1999). En conséquence, ils sombrent souvent dans la désillusion et le cynisme. Les vrais optimistes, eux, ont conscience de vivre dans un monde imparfait où les amours peuvent se faner, les innocents, être châtiés, et les malades, mourir. »
Qu’est-ce qui fonde alors cet optimisme-là ? Il ne tient pas aux circonstances extérieures, à l’état du monde ou à la façon dont les situations se nouent dans nos vies, mais il s’enracine dans notre capacité à percevoir le bon, dans la confiance en soi et le plaisir de vivre. C’est le regard résolument positif d’Etty Hillesum, jeune femme juive déportée en 1943, qui note dans son journal intime (« Une vie bouleversée », Points Seuil, 1995), un soir de printemps : « Nous sommes passés devant des seringas, des petites roses et des sentinelles allemandes. »
C’est aussi l’espérance travaillée comme une vertu par Jean-François Deniau, homme politique, romancier et académicien, qui a survécu à trois cancers, deux maladies cardio-vasculaires, deux infarctus et quatorze anesthésies générales, parce qu’il reste tourné corps et âme vers un seul objectif : continuer à prendre la pleine mer et à barrer son trois-mâts, le Belém. C’est peut-être aussi un autre nom donné à la résilience, cette capacité à triompher de traumatismes passés, que le psychiatre Boris Cyrulnik a fait connaître au grand public (ouvrages de Boris Cyrulnik sur le sujet : « Les Vilains Petits Canards », « Un merveilleux malheur », « Le Murmure des fantômes » et « Parler d’amour au bord du gouffre », Odile Jacob, 2001, 2002, 2002, 2004).
Savoir s’adapter
Depuis quelques décennies, cet état d’esprit, prôné et étudié par la psychologie positive et enseigné par les techniques de développement personnel, se répand. Dans sa dernière étude (« Prospectives de vie, 2005-2008 ») sur les styles de vie des Français, le Centre de communication avancée (CCA) constate que de nouvelles postures d’adaptation naissent chez un grand nombre de nos contemporains : « La solution est de partir à la découverte de son bonheur personnel pour survivre dans un monde inquiétant […]. Pour cela, il faut butiner un peu partout […], librement, des bribes de valeurs avec lesquelles on se sent en résonance. »
Butiner. Le terme invite chacun à détecter ses sources de satisfaction, afin de les faire grandir pour se construire la vie qui lui va. Résolument actif, cet optimisme lucide se nourrit de l’idée simple qu’il y a une solution, même imparfaite, à tout problème. Et que le plaisir de la chercher est déjà une satisfaction en soi. Vous venez de perdre votre emploi ? Peut-être y a-t-il pour vous une nouvelle orientation à mettre en place. Vous avez rompu avec votre compagnon ? Peut-être quelqu’un qui vous correspond mieux va-t-il croiser votre chemin. C’est ce regard-là, à la fois réaliste et prometteur, que nous vous proposons de choisir.
Reporters de bonnes nouvelles
Les journalistes ne colportent pas que des « mauvaises nouvelles »… La toute jeune association Reporters d’espoirs a ainsi créé en 2004 un prix pour récompenser des articles traitant d’infos « positives ».
Une crèche installée dans une maison de retraite parisienne, un village de Cisjordanie où Israéliens et Palestiniens ont appris à vivre ensemble, un fonds de solidarité pour subventionner l’achat de médicaments antisida à Abidjan, en Côte d’Ivoire…
Sélectionnés dans la presse en 2003, une vingtaine d’articles ont ainsi été réunis dans un magazine paru en novembre dernier. « Il ne s’agit pas d’encourager la gentillesse et moins encore je ne sais quelle niaiserie réconfortante, explique Jean-Claude Guillebaud, président du jury du prix Reporters d’espoirs, mais d’encourager la profession à s’intéresser à l’autre dimension du réel : initiatives, victoires sur la fatalité, engagements têtus, démarches de paix… » L’actualité vue autrement.
(Ségolène Barbé)
Freud / Jung
Freud, pessimiste ?
“Il existe une opposition fondamentale entre les exigences de la vie en société et nos aspirations personnelles au bonheur », nous dit Sigmund Freud, devenu un vieux monsieur, dans Malaise dans la civilisation (PUF, 1930).
En résumé : l’existence est forcément frustrante. Au premier abord, la pensée freudienne n’incite pas à l’optimisme. Selon le père de la psychanalyse, nous sommes menacés de tout côté : la nature est hostile, nos semblables ne pensent qu’à nous écraser, notre corps est sujet aux maladies et notre psychisme est travaillé par des pulsions perturbantes – en particulier celle de mort qui nous pousse au meurtre et à l’autodestruction.
En grande partie inconscient, « notre Moi n’est pas le maître dans sa propre maison ». Et, sans substances capables de nous emmener vers les paradis artificiels, l’existence n’est pas supportable. Pourtant, la psychanalyse freudienne nous dit que nous pouvons nous réapproprier les forces impétueuses qui nous habitent et cesser d’en être victimes : « Là où était le Ça, les pulsions, le Je doit advenir. » Elle nous invite à nous responsabiliser, à transformer nos destinées. Et, en cela, n’est-elle pas dynamisante ?
Jung, optimiste ?
La pensée de Carl Gustav Jung (1), qui fut un temps disciple de Freud puis s’en sépara en raison de désaccords théoriques, apparaît d’emblée plus optimiste. Pour lui, la vie, loin d’être un champ de bataille, consiste en une suite de métamorphoses dont le but est la réalisation harmonieuse de soi. C’est un processus de maturation – l’individuation – au terme duquel nous sommes pacifiés. Nos relations avec les autres sont améliorées et nous n’appréhendons plus la mort, car nous avons compris que l’âme n’a rien à craindre d’elle et qu’elle peut être « une fête joyeuse ».
Pour Jung, il est envisageable d’espérer un monde sans conflit ni guerre des sexes : « La névrose n’est que la souffrance d’une âme qui cherche son sens. » Surtout, l’inconscient jungien est pur de toute pulsion de mort. Il est lumineux, hautement créatif. Il nous rattache au passé le plus archaïque de l’humanité, aux grands mythes collectifs.
La lecture de Jung permet de se sentir relié aux autres hommes et au cosmos. Jung traversa à plusieurs reprises des épisodes dépressifs, des crises d’angoisse. Peut-être est-ce justement le désir d’en guérir qui lui permit d’inventer une approche thérapeutique aussi optimiste.
1- Pour une première lecture : Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées (Folio Gallimard, 1991). (Isabelle Taubes)
Source : http://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Comportement/Articles-et-Dossiers/L-optimisme-ca-s-apprend/Savoir-cultiver-le-bon-cote-des-choses/4