Les vertus du rire en 6 points
« On prend la mesure de la puissance du rire dès l’âge de 6 à 8 semaines. On chatouille bébé, il rit, on rit, il re-rit, et ainsi de suite. La communication est profonde parce qu’on rit ensemble. »
C’est ce qu’affirme Florence Servan-Schreiber dans son livre Power patate (Marabout). Persuadée des bienfaits de cette activité toute simple qui consiste à « manifester une gaieté soudaine par l’expression du visage et par certains mouvements de la bouche et des muscles faciaux, accompagnés d’expirations plus ou moins saccadées et bruyantes » – comme le définit le Larousse -, la spécialiste de la psychologie positive encourage tout un chacun à s’y adonner au minimum quinze minutes par jour.
Certes, il y a des individus plus réceptifs que d’autres. Certains, par leur esprit, font pouffer l’assemblée, alors que d’autres se marrent franchement mais sont incapables de raconter une blague. On recense aussi des personnes qui préfèrent ne pas manifester extérieurement leur amusement, et même quelques-unes qui restent imperméables à cette façon de croquer la vie… à pleines dents. Mais pas de panique, rien n’est perdu.
Si ce n’est quelques cas pathologiques – autisme, etc. – le rire, et même l’humour, sont à portée de tous ! Il suffit simplement, comme pour tout, de s’entraîner. « Ça se travaille clairement, même si l’envie de faire le pitre nous vient souvent de notre enfance, affirme l’humoriste belge Alex Vizorek. Pour y arriver, le mieux est de regarder le sujet de biais et non frontalement pour trouver une idée. J’observe également ce qui se fait et ce qui marche. Je suis par exemple allé voir Mais qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? pour comprendre pourquoi ce film avait eu un tel succès en salles. » La journaliste Charline Vanhoenacker confirme : « Il y a selon moi une part d’inné – certains ont des dispositions à faire le clown depuis tout jeune -, mais en parallèle beaucoup d’acquis. Des mécanismes se développent. On reproduit des choses qu’on a entendues et appréciées. De mon côté, j’ai toujours été friande des Guignols de l’info, du Chat de Philippe Geluck et des sketches de Pierre Desproges. » Plus aucune excuse donc pour ne pas se dérider, on a tout à y gagner ! La preuve par 6.
1. C’EST BON POUR LA SANTÉ
Même si l’ampleur du phénomène divise les scientifiques, il reste évident que l’hilarité a un impact positif sur notre corps. Ingrid Daschot, animatrice d’ateliers de yoga du rire dans le Brabant wallon (lire ci-dessous) souligne ainsi que cette activité « développe les capacités respiratoires ». Elle se traduit par « une accélération cardiaque, ainsi qu’une augmentation de la sécrétion d’endorphine, elle active le système circulatoire et respiratoire et donc l’oxygénation générale et mobilise quatre cents muscles, énumère quant à elle la psychologue Marie Anaut dans son livre L’humour entre le rire et les larmes (Odile Jacob). La neurobiologie a démontré que cela favorise la production par l’organisme de neuromédiateurs comme la sérotonine et la dopamine qui sont des substances favorables à la santé. »
Certaines études démontreraient d’ailleurs que les hôpitaux qui recourent aux services de cliniclowns par exemple, délivreraient moins d’antalgiques à leurs patients, « les endorphines soulageant naturellement la douleur », comme le rappelle Marie Anaut. Florence Servan-Schreiber va même plus loin, affirmant que « savoir transformer le stress en humour nous fait gagner quatre ans d’espérance de vie » !
2. ÇA BOOSTE LE MORAL
« Se bidonner, ou même juste sourire, seul devant son miroir peut déjà être très bénéfique, constate Ingrid Daschot. Cela donne confiance en soi et offre l’occasion de se positionner immédiatement en tant que personne heureuse. On décide volontairement de considérer le verre à moitié plein, on change sa vision sur la vie… et naturellement, le regard que posent les autres sur nous se modifie également. » Ainsi rire serait une façon de voir la vie en rose… même quand elle ne l’est pas tout à fait. Et l’humour davantage encore car la démarche cognitive qui se cache derrière peut franchement aider à surmonter les tracas du quotidien. « L’attitude humoristique est un indicateur de créativité qui révèle les ressources mobilisables pour parer aux difficultés de l’adversité », souligne Marie Anaut.
L’idée serait ainsi finalement de renouer avec sa légèreté de môme et de blaguer pour dépasser les angoisses et autres barrières à notre épanouissement. « Ça révèle l’enfant que l’adulte porte encore en lui et qui s’est construit à partir du jeu et de l’imaginaire, analyse l’auteure de L’humour entre le rire et les larmes. Ça rappelle en outre nos tentatives infantiles pour maîtriser des situations frustrantes qui nous échappent ou qui nous font peur. »
3. C’EST UN BOUCLIER EN CAS DE DRAME
Si l’humour aide très certainement à affronter les petits soucis journaliers, il peut s’avérer très utile dans des cas bien plus graves de traumatismes ou de catastrophes, comme le suggérait déjà Beaumarchais quant il écrivait « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer ». « Dans ma pratique clinique, j’ai souvent observé que c’était une force vitale qui apparaissait dans des situations les plus inattendues, relate Marie Anaut. Des personnes l’utilisent spontanément pour raconter des histoires complètement délétères, de maltraitance par exemple. C’est une véritable ressource pour elles. »
Parmi les exemples connus, on citera celui de Pierre Desproges qui, atteint d’un cancer, prenait un malin plaisir à le railler, lançant des sentences du genre « Noël au scanner, Pâques au cimetière » ou « Plus cancéreux que moi, tumeur ! » Ou encore Elie Semoun qui, en interview, lorsqu’on lui demande pourquoi il est devenu humoriste, répond « parce que ma mère est morte », précisant que pour franchir cet obstacle de la vie il s’est mis à faire glousser les autres…
4. C’EST UN MOYEN D’AUTODÉFENSE
« C’est un roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? C’est une péninsule… » La tirade de Cyrano de Bergerac à propos de son nez est probablement le plus bel exemple que la littérature nous apporte en matière d’autodérision. Le héros au pif proéminant assaille son ennemi de plaisanteries qui auraient pu être les siennes avant de conclure : « Je me les sers moi-même, avec assez de verve. Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. » Dans cette célèbre scène, les traits d’esprits donnent du panache et retournent l’agression vers son auteur pour le ridiculiser à son tour, avec élégance et manière. « C’est un bouclier face aux attaques potentielles des moqueries, confirme Marie Anaut. De ce fait, l’humour permet de retravailler les blessures en changeant leur représentation et transforme aussi l’image que l’on a de soi. » Rigoler de ses erreurs et de ses failles serait donc la meilleure manière de transformer ses défauts en qualité.
5. ÇA FACILITE L’INTÉGRATION
« C’est un lubrifiant social, moins dangereux que l’alcool, affirme la journaliste Charline Vanhoenacker. Pour moi, que ce soit à l’antenne ou dans les couloirs, l’humour me facilite la tâche pour aborder les gens cash, les mettre à l’aise, qu’ils se sentent dans un environnement positif et donnent donc à leur tour le meilleur d’eux-mêmes. » S’esclaffer connecte en effet positivement les individus en créant un climat de confiance et en rapprochant des personnes qui initialement auraient pu s’ignorer. C’est d’ailleurs un langage universel, au-delà des dialectes locaux.
C’est également une manière de captiver, voire de convaincre son assemblée. « Si j’avais été un grand séducteur, je ne serais pas devenu humoriste, plaisante Alex Vizorek. Plutôt que de draguer frontalement, que ce soit une femme ou plus largement mon entourage, je préfère oser un trait d’esprit. Au fur et à mesure, faire rigoler devient presque une drogue, je ne peux plus m’en passer. » Et sa comparse Charline Van Hoenacker de confirmer : « C’est une sensation nouvelle pour moi, mais qui est assez jouissive. Le plus important : cela prouve que l’interlocuteur est attentif à ce qu’on dit et ça c’est déjà très agréable. »
6. ON PEUT DÉNONCER SANS FROISSER
« L’humour offre une forme de pertinence pour mettre le doigt sur des faits de façon cinglante, en évitant la diffamation. Idéal pour faire passer un message », explique encore la journaliste. Un titre qu’elle revendique, estimant que dans ses humeurs « il y a de l’exactitude. Pour l’humoriste, le cahier des charges est de générer l’hilarité, la blague prime, quitte à partir dans la fiction. Moi, je m’inscris dans la réalité. »
Tourner les choses en dérision, avec maîtrise, peut donc s’avérer une manière subtile de prendre position. Au risque de déraper ? « J’ai une barrière naturelle dans mon ADN, je m’interdis certains sujets comme le 11 septembre ou Mohamed Merah », rétorque la chroniqueuse. Et son complice d’aller plus loin : « On peut parler de tout mais avec le bon axe, ce qui est parfois très difficile. Personnellement, je n’ai pas encore trouvé le moyen d’aborder l’Etat islamique… Mais certains réussissent à traiter des sujets lourds avec beaucoup de tact. » Un tact, primordial si l’on veut éviter les écueils : « L’humour mal utilisé peut être une source de malentendus, mais aussi de dénigrement haineux, met en garde Marie Anaut. Il devient alors un instrument nuisible de désocialisation, une arme de destruction et de conflit. » D’autant qu’en fonction de la culture et de l’éducation, les frontières du politiquement correct sont mouvantes…
Des ateliers pour se marrer« Le cerveau ne fait pas la différence entre le rire provoqué et naturel. » Partant de ce principe, Ingrid Daschot, ancienne infirmière spécialisée dans diverses méthodes liées au bien-être – communication non violente, pleine conscience, etc. – anime depuis quelques années des ateliers de yoga du rire dans le Brabant wallon – « personnellement, c’est la seule chose qui me permette de vraiment me vider la tête », affirme-t-elle.La séance commence par un échauffement, pour lequel le groupe forme un cercle : claquer des mains, compter jusqu’ à 3 plusieurs fois, puis répéter en marchant dans l’espace « oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! », les deux premiers sons en inspirant, les trois suivants en expirant. « Cette activité vous apprend aussi à bien respirer », affirme l’animatrice. Ensuite, elle suggère à l’assemblée diverses manières de se bidonner et tout le monde la suit à l’unisson, tantôt en tournant en rond, tantôt en déambulant de manière aléatoire dans la pièce. Se succèdent le ricanement bête, le gloussement de contentement ou encore celui que l’on ferait au téléphone en entendant une bonne blague. La plupart des saynètes se travaillent par deux, l’important étant, pour la spécialiste de « rire avec l’autre et pas de l’autre ». Peu à peu les mimiques deviennent moins contrôlées, plus naturelles. Le groupe se détend visiblement. Après trente minutes, la banane est sur tous les visages. « L’air de rien, c’est hard physiquement, souligne Ingrid Daschot, mais c’est une saine fatigue. » A tester !